Retour sur l'attaque de Kafolo le 11 Juin 2020

 



Cérémonie d'hommage le 02 Juillet 2020 aux soldats tombés lors de la première attaque de Kafolo.

L'attaque de Kafolo le 11 Juin 2020 fut un électro-choc pour la Côte d’Ivoire. Pour la première fois, le pays subissait une attaque djihadiste sur son sol. La Côte d’Ivoire entrait ainsi au contact  d'une réalité avec laquelle elle espérait secrètement ne jamais avoir à composer. L'attaque est intervenue trois semaines après des  manœuvres conjointes ivoiro-burkinabé, présentées comme un « grand succès », qui se sont déroulées pratiquement dans la même zone, et qui devaient justement préparer les deux armées à des opérations coordonnées pour traquer les djihadistes.


En cela cette attaque, qui a fait 14 victimes parmi les soldats ivoiriens, a été une humiliation. Elle a surtout montré que  le Mali et le Burkina ne devaient plus être vus comme des « pays écrans », qui protègent la Côte d’Ivoire des attaques sur sa frontière nord. Par la suite, plusieurs attaques sont intervenues toujours dans la zone de Kafolo,  dont la plus importante fut menée dans la nuit du 28 au 29 Mars 2021. Fait notable, aucune attaque à ce jour n'a occasionné autant de victimes que la première attaque de Kafolo. Faut-il y voir le signe que l’armée ivoirienne a pris la mesure de la situation ? 

 

L'école de guerre de Zambakro, et la toute nouvelle académie internationale de lutte contre le terrorisme


La Côte d’Ivoire dispose d’une académie militaire à Zambakro près de Yamoussoukro, qui forme les officiers de plusieurs pays africains, et dispose en son sein d'une école de guerre inaugurée le 17 Octobre 2019. A cela s'ajoute l’ Académie Internationale de Lutte contre le Terrorisme ( AILCT ), une structure construite à Jacqueville (76 km d’Abidjan ), inaugurée le 10 Juin 2021, un an jour pour jour après la première attaque de kafolo.


La question qui se pose aujourd’hui est de savoir ce qui est véritablement enseigné dans ces structures. Face aux djihadistes, la science militaire classique ne s’applique pas. Les armées régulières font face à des bandes armées difficiles à saisir, qui attaquent les positions isolées, tendent des embuscades,  puis se fondent dans la nature. Il n’y a pas de front en tant que tel.  C'est la guerre asymétrique, inconnue des stratèges occidentaux. 


Aujourd'hui au Mali  nous avons la Minusma ( 8 000 hommes ), le G5 Sahel, la force française Barkhane ( 5 200 hommes ), des spécialistes allemands, anglais, avec d'importants moyens aériens et logistiques, en plus de  l’armée malienne ( 18 000 hommes ).  A cela s'ajoute la base de drones des Américains au Niger pour la surveillance et l’instruction. Et pourtant, on n'arrive pas à vaincre des djihadistes, bien peu nombreux, sans aucune logistique, sans aucune formation militaire, à l’armement rudimentaire. Conclusion, les moyens conventionnels ne garantissent pas la victoire dans la guerre asymétrique.  Les événements d’Afghanistan d’Août 2021 le prouvent encore une fois.


Qu’es ce qui est enseigné à l'école de guerre de Zambakro ? La guerre classique, ou la guerre de notre temps ? Ce serait incompréhensible pour l'opinion que de disposer de telles structures et être incapable de traiter la menace djihadiste. La presse internationale de manquerait pas de railler la CI si les résultats dans la confrontation avec les djihadistes ne sont pas différents de ceux qu'obtiennent les pays du Sahel. Le défi est de taille pour l'armée ivoirienne.

 

Le défi du renseignement


Les renseignements sont une ressource essentielle dans ce type de guerre. Nous avons affaire à des groupes qui n'occupent pas de positions, qui parviennent à se fondre dans la nature, qui n'ont pas de logistiques, qui parcourent  les distances à moto, et qui  frappent  en bénéficiant pleinement de l'effet de surprise. Il faut arriver à anticiper leurs actions d'une manière ou d'une autre par du renseignement.


Ces groupes font du repérage, se coordonnent, se regroupent, effectuent des préparatifs. Il est possible de disposer d'un faisceau d'indices permettant de prévoir  l'imminence d'une attaque.  Il faut disposer sur le terrain de "relais ",  un peu à l'image des  polices qui ont  des ‘’ indics’’ dans les milieux criminels qui leur fournissent de petits bouts d'informations sur les "gros coups"qui se préparent.  Il sera  difficile de contenir les  attaques  djihadistes, si  on n'arrive pas à les anticiper d'une manière ou d'une autre. Comment ? Là réside la question. 


Les Ivoiriens doivent être proactifs en faisant du renseignement au Mali et au Burkina. Il ne faut plus attendre tranquillement que ces pays fournissent des informations à exploiter. Il faut aussi envisager des incursions fréquentes dans ces pays, comme le font le Rwanda et le Burundi dans  l'Est de la RDC, où pullulent des bandes armées que le pouvoir de Kinshasa ne peut pas maîtriser.


Un berger circulant avec son troupeau  aux abords d'un poste militaire, peut être en réalité un djihadiste qui fait du repérage. Il faut avoir un œil sur cette corporation. Avant l’attaque de Kafolo, selon les médias, les villageois  avaient remarqué la présence suspecte d'individus de type peul. Il faut tout mettre en œuvre pour recueillir le maximum de données de ce type, qui paraissent anodines, et les recouper. 

 

 Le défi de la projection des forces


Les djihadistes frappent toujours là où on s'attend le moins, afin de bénéficier de l'effet de surprise, et de ne pas avoir à se confronter au gros de l'armée. Projeter des forces c'est les acheminer rapidement  sur le champ de bataille pour participer aux combats ou  couper la  retraite à l'ennemi.


La projection des forces est essentielle.  L’armée ne pouvant être partout à la fois, il faut pouvoir rapidement déplacer les forces d'une position à l'autre.  La Mauritanie partage une longue frontière avec le Mali dans sa partie Nord et Ouest. Le pays n'a pas de grands moyens. Pourtant les attaques sont inexistantes aujourd'hui. L’armée a beaucoup travaillé sa mobilité et son déploiement. Les djihadistes ne peuvent plus  bénéficier de l'effet de surprise s'ils attaquent.


Les djihadistes sont extrêmement mobiles, face à des armées bien trop lourdes dans leur déploiement. Pour accroître sa réactivité, l’armée ivoirienne doit  pré-positionner les effectifs et les équipements au plus près des zones frontalières.  La guerre ne doit pas être menée depuis Abidjan, la base de Korhogo, si ce n'est pas encore le cas, doit abriter tout le nécessaire pour les opérations y compris le QG opérationnel.  


Tout doit se trouver sur place afin de minimiser le temps de réaction, c'est-à-dire l’acheminement des renforts si cela est nécessaire. La logistique a toujours été le point faible des armées africaines, ce qui les rend vulnérable face aux rebellions, qui elles n'ont pas cette contrainte. Tout est concentré dans les capitales. Les bases hors de la capitale ne sont que des bases de nom. 



Faut-il désormais s’attendre à une montée en puissance des attaques ?


La confrontation avec les djihadistes reste inévitable pour la Côte d’Ivoire. Toutefois, à l’instar de la Mauritanie, qui partage la plus longue frontière du Mali, mais qui quasiment depuis 2011 n ’ a subi aucune attaque sur son sol, la CI a les moyens de garantir la sécurité à ses frontières, si ses troupes font preuve d’engagement, si elle parvient à infiltrer les milieux djihadistes, et si elle améliore la projection de ses forces.

Tant que nous n’avons pas un effondrement total de l’un de nos voisins du Nord, les djihadistes menant des attaques sur notre frontière seront obligés d’opérer loin de leurs « bases », situées rappelons-le essentiellement dans le Nord et le centre du Mali, le Nord du Burkina et le Sud-Ouest du Niger (zone dite des trois frontières).


Ainsi  pour mener l'attaque du 11 juin 2020 et celles qui ont suivi, ils ont traversé le centre et le Sud du Burkina, des zones tenues fermement par l’armée et par les milices d'auto-défense. L’opération terminée, ils sont retournés dans le Nord du mali ou accessoirement  le Nord du Burkina. Ils ne peuvent pas rester indéfiniment dans le Sud sans éveiller des soupçons en tant que peuls ou touaregs, les deux groupes ethniques qui composent les bandes djihadistes.


C'est donc une opération complexe, qui a nécessité beaucoup de préparation, et qui fait courir des risques importants.  Après le 11 Juin 2020, la plus importante attaque s'st produite toujours dans la zone de Kafolo, le 29 Mars 2021. Plusieurs autres ont suivi. Ces attaques  ont été de "basse intensité " si l'on s'en tient au nombre de victimes dénombrées à chacune d'elles. Si nous avons un effondrement de l'un de nos voisins, à l'image de l'Afghanistan, alors les djihadistes envahiront le sud de ce pays, et la confrontation avec l'armée ivoirienne prendra une toute autre ampleur. 


Sans être alarmiste, la CI doit néanmoins se préparer à ce scénario. Avec le retrait français annoncé pour la fin 2021, les djihadistes vont certainement se reconstituer et passer à l'offensive au Mali. Une force européenne et supposer pendre le relais de la force française Barkhane. Mais ses contours, et son mandat sont encore flou, la question de son financement n'est pas encore réglé


La  CI doit anticiper une montée en puissance de son armée dans le Nord du pays ain de parer à toute éventualité, en perspective du retrait des français. Il ne faut pas se laisser surprendre. Tout peut aller très vite, comme on l'a constaté en Afghanistan. Il faut se préparer à prendre l'offensive et non plus attendre que les djihadistes nous tombe dessus. Dieu bénisse la Côte d'Ivoire.

oceanpremier4@gmail.com


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